Spartoo-André, les raisons d'un mariage omnicanal
Spartoo, né sur le web en 2006, rachète André, acteur historique de la chaussure en France, dont le premier magasin a ouvert en 1896. L’idée ? Marier le meilleur des deux mondes et parier sur la complémentarité des réseaux.
Comme un mini Amazon-Whole Foods à la française, Spartoo rachète André... Les petits gars du web, 12 ans d’âge, mettent la main sur une vénérable vieille dame plus que centenaire, ancienne reine de la chaussure en France. Il y a quelques années encore, cela aurait été l’inverse. L’enseigne historique aurait gobé la jeune pousse pour s’acheter un savoir-faire dont elle ne disposait pas. D’ailleurs, elle aurait dû s’intéresser davantage à ces remous online qu’on voyait poindre alors. Tant pis pour elle.
Elle a passé son tour, vu le marché de la chaussure se retourner – cinq années de baisse, pour tomber à 8,6 milliards d’euros en 2016 –, les prix être tirés vers le bas par une concurrence exacerbée… Elle n’a pas supporté. Le dernier chiffre d’affaires officiellement publié par André fait état de 101 millions d’euros en 2016, pour des pertes de plus de 20 millions. Et cela fait trois ans que la situation se dégrade : 114 millions de chiffre d’affaires en 2015 pour 24 millions de pertes, 127 millions de ventes en 2014 pour 8 millions de pertes… Il faut remonter à 2013 pour voir André bénéficiaire : un petit million d’euros, alors…
L’enseigne s’est effondrée. Elle est aujourd’hui rachetée. Avec, comme grande question, de savoir quoi en faire… « Nous sommes très fiers du savoir-faire historique de cette marque, et très admiratifs des gens qui durent, avance Boris Saragaglia, le PDG fondateur de Spartoo. C’est la raison pour laquelle nous allons garder l’enseigne André et n’y vendre que des chaussures. » En tout, 164 magasins et 750 salariés sont concernés par ce projet de reprise. On parle donc d’un réseau constitué, important. Donc pas simple à « bouger ». « Gérer un double réseau, André en magasins, Spartoo sur le Net, s’annonce tout sauf simple. D’autant que si André bénéficie d’une excellente notoriété, pas sûr que l’attachement à la marque soit au même niveau », avance Yves Marin, directeur au sein du cabinet Wavestone. À l’écouter, capitaliser sur une seule marque serait peut-être plus judicieux.
Chacun garde son nom
Ce n’est pas l’option choisie par Boris Saragaglia, et c’est pleinement assumé : deux réseaux au nom différent ne nuisent pas aux synergies. « André a été remis sur le bon chemin par son management actuel, que nous allons conserver. Nous allons accompagner le travail de repositionnement sur la cible familiale, de type CSP moyen. Et, famille oblige, nous allons densifier l’offre enfant, sur laquelle Spartoo est bien positionnée. Enfin, nous allons développer l’assortiment multimarque d’André et équiper les équipes en magasins de tablettes pour qu’elles soient capables de proposer des extensions de gammes via l’offre de Spartoo. Les clients de Spartoo, eux, pourront trouver chez André autant de points de retrait pour leurs commandes », annonce le PDG. Ajoutez, en amont, les massifications aux achats sur les marques propres, qui pèseront environ 85 % de l’offre André demain, et montent jusqu’à 30 % dans les boutiques Spartoo, et comprenez que Boris Saragaglia « croie beaucoup en la complémentarité des deux réseaux ».
Il n’empêche : faire jouer sans dissonance une enseigne André classée « Français moyen » avec un Spartoo qui plaît d’abord aux CSP + de périphérie des grandes villes semble complexe. Spartoo est bien armé pour les villes de plus de 100 000 habitants, mais connaît plus de difficultés dans celles de moins de 50 000…
On peut imaginer André prendre ici le relais : c’est là son point fort. La clientèle familiale, avec l’offre enfant, faisant ensuite le lien pour unir l’ensemble. C’est le pari. Il se tient. Et puis, il y a la croissance mécanique à aller chercher. « La logique économique inhérente au rachat est évidente : c’est une excellente opportunité d’expansion rapide de son réseau, appuie Yves Marin. Reste que la vraie difficulté aura trait à la fusion culturelle. Celle des équipes, du management ; celle de l’offre et des consommateurs… »
Pour déterminer si c’est jouable, il faut se pencher sur Spartoo. Avec 150 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2016 pour une croissance de 10 %, la dynamique est en sa faveur. C’est un premier bon point. Un second a trait à son agilité. Boris Saragaglia a compris que son site, trop petit pour lutter à armes égales avec Zalando et Amazon, devait sortir du carcan de la chaussure : il s’est ouvert à la mode en 2013, puis s’est adjoint une marketplace en 2014 et, la même année, s’est lancé dans le réseau physique, en ouvrant des magasins.
Pionniers en France
Spartoo a eu cette intelligence de prendre le problème à bras-le-corps. Et fait figure de pionnière en France en croquant André, comme, en juin 2017, Amazon a racheté Whole Foods aux États-Unis. L’heure est à la concentration omnicanale, et cela ne fait que commencer.
« Certains digital natives ont concentré leur stratégie sur une croissance soutenue et consommatrice de capitaux. Leurs investisseurs vont maintenant souhaiter récupérer leur mise. Par ailleurs, certains physical natives sont énergiquement invités par leurs actionnaires à accélérer dans le digital. Les deux mondes sont donc voués à se rapprocher, et 2018 verra l’accélération de ce phénomène », prédit Florent Haïk, associé et fondateur de Raphaël Financial Advisory. Reste à savoir si Spartoo, peut-être arrivé au bout de son modèle de développement, ne cherche pas simplement à rendre la corbeille de la mariée plus belle. Après tout, plusieurs fois mise en vente, il n’a jamais trouvé d’acquéreur.