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Par PPI. - La Tribune

« Quels sont les grands enjeux de la transmission d’entreprise en France ? »

Entretien exclusif avec Benoit O'Mahony et Florent Haïk, associés dirigeants de Raphaël Financial Advisory

 

« Benoît O'Mahony et Florent Haïk sont les associés dirigeants de Raphaël Financial Advisory, spécialiste du conseil en fusions, acquisitions et cessions d'entreprises dédié aux opérations de taille moyenne. »

 En quoi la transmission d'entreprise est-elle un enjeu en France ?

Benoît O'Mahony : Chaque année, entre 5 et 7 000 PME et ETI sont cédées en France. Elles représentent environ 1 million d'emplois. C'est un enjeu économique et social important.

Raphaël Financial Advisory est volontairement tourné vers les entreprises de taille moyenne qui sont un point fort dans notre tissu économique français...

Florent Haïk : Notre coeur de métier, c'est de conseiller et d'accompagner les entrepreneurs dans la transmission des entreprises de taille moyenne. On entend souvent parler des très grosses opérations de rapprochement d'entreprises. Elles sont en général traitées par les banques d'affaires globales de renom. Mais à côté de ce marché des géants, il existe un marché dit « small et mid-cap ». Il est évidemment beaucoup plus large en volume que le marché des très grosses affaires mais les montants engagés sont plus modestes. Ce marché, dynamique, est encore souvent un peu délaissé par les grandes banques, même si depuis quelques années certaines ont la volonté d'y développer leur activité de fusions-acquisitions.

Benoît O'Mahony : A titre personnel j'ai co-fondé et développé il y a plus de dix ans une structure au sein de Rothschild sur ce segment mais cette initiative a fait partie des quelques exceptions qui confirment la règle. Avec Florent, lui aussi ancien associé-gérant de cette structure, nous avons agrégé nos expertises et nos savoir-faire pour offrir un très haut niveau de service à la clientèle des PME et des ETI.

Qu'est-ce qui pousse un entrepreneur à céder son affaire ?

Florent Haïk : Vous avez raison de poser la question en ces termes car la cession d'une PME ou d'une ETI tient avant tout à la décision d'une femme, d'un homme ou d'une famille, à un moment donné, de transmettre le fruit de son parcours et de son travail. Souvent, la décision de céder est une combinaison de facteurs : le constat que personne parmi les enfants ne souhaite prendre la suite, le diagnostic que l'entreprise est trop petite pour envisager seule le développement à l'international, le souhait de céder l'affaire à ses principaux cadres, ou parfois simplement le sentiment que le moment est opportun pour céder...

Benoît O'Mahony : Ce qui est certain, c'est qu'une transmission doit si possible être le fruit d'une démarche active et volontaire par un entrepreneur qui s'en donne les moyens, à un moment bien choisi dans un calendrier précis. Trop de chefs d'entreprise, pris par le tourbillon du quotidien, n'anticipent pas assez et ne s'organisent pas suffisamment pour gérer au mieux ce moment crucial de leur vie professionnelle - car il convient d'optimiser les aspects financiers bien sûr mais pas seulement : la transmission de la direction générale, la motivation des équipes, la préservation de l'outil de production et du fonds de commerce sont des éléments tout aussi importants pour les chefs d'entreprise.

Vous ne mentionnez pas l'âge du dirigeant ? N'est-ce pas la principale raison qui pousse à transmettre ?

Benoît O'Mahony : Il est vrai que sur le segment des PME/ETI, environ 10% des salariés ont en France un dirigeant de plus de 66 ans. C'est beaucoup, d'autant que nous sommes rattrapés par le phénomène du papy-boom. On estime qu'au moins 25 000 PME/ETI seront à céder dans les 5 années qui viennent. Mais quand on regarde les statistiques, l'âge n'est pas le premier facteur déclenchant d'une cession : plus de la moitié des transmissions se réalisent alors que le dirigeant a moins de 55 ans.

Est-ce que l'environnement est favorable pour faciliter la transmission d'entreprises ?

Florent Haïk : L'univers réglementaire et fiscal français est assez rigide. Et surtout il manque de cohérence et de prédictibilité, il change trop souvent. Dernier exemple : la loi Hamon - actuellement en cours de modification dans le cadre de la loi Macron - qui fixait des contraintes très élevées aux dirigeants d'entreprise en situation de cession. De façon générale, les mesures qui compliquent la transmission sont contre-productives. Dans notre pays on considère encore trop l'entrepreneur qui vend son affaire comme un patron qui s'enrichit ; certes c'est le cas et c'est d'ailleurs, soit dit en passant, bien mérité. Mais c'est aussi un dirigeant qui passe le flambeau pour que l'entreprise puisse se développer sans lui, au bénéfice des salariés, des clients et des fournisseurs. Il y a en France aujourd'hui trop d'entreprises qui auraient pu être transmises ces dernières années dans de bonnes conditions, pour les actionnaires comme pour les salariés, mais dont les dirigeants ont renoncé en raison du cadre fiscal et réglementaire à la fois rigide et mouvant.

Qui sont les acheteurs des entreprises françaises ?

Benoît O'Mahony : Souvent les entrepreneurs sont rétifs à vendre à leurs concurrents, français ou étrangers. Et ils ont du mal à imaginer que leur société puisse intéresser d'autres groupes que ceux qu'ils côtoient dans leur écosystème. En réalité une grande part des opérations de cession se fait avec des acquéreurs dont l'entrepreneur ignorait l'existence ou l'intérêt stratégique pour la position de marché, la technologie, le savoir-faire de sa société. De plus en plus d'opérations sur le segment des PME/ETI sont réalisées par des acquéreurs en quête de diversification métier. Les opérations transfrontalières sont plus nombreuses également : certains secteurs d'activité se consolident au niveau européen ; on voit également des acquéreurs lointains (USA, Chine, Japon, Inde) souhaiter prendre position sur le marché français en acquérant des sociétés de taille moyenne. En 2014, les acquisitions opérées par des acquéreurs non français ont augmenté de 70%.

Vous avez un exemple ?

Florent Haïk : Oui, je pense par exemple à la société BARAT, une entreprise de 30 millions de chiffre d'affaires, spécialisée dans la conception et l'impression d'étiquettes pour les bouteilles de vin. Cette entreprise leader en France a été reprise par un groupe américain. Elle va pouvoir s'adosser à une capacité d'investissement supérieure et développer des marchés internationaux. C'est une opération gagnant-gagnant.

Le capital-investissement joue-t-il un rôle positif ? Vous connaissez la critique qui est faite aux fonds d'investissement. On les dit pressés et pour ça prêts à tout...

Benoît O'Mahony : C'est vrai qu'il y a eu quelques excès et erreurs par le passé, mais c'est une critique un peu caricaturale et injuste. Quand un fonds investit, c'est pour développer l'entreprise, condition sine qua non de sa plus-value. Souvent quand l'entrepreneur souhaite poursuivre l'aventure, il revend à un autre fonds dont les projets de développement sont encore supérieurs. Tout le monde y trouve son compte. Il y a en France environ 4000 PME ou ETI qui ont un fonds d'investissement au capital. Elles sont globalement performantes et en croissance, souvent plus que la moyenne.

Florent Haïk : Par ailleurs les fonds d'investissement sont en mesure de rendre possible la transmission d'une entreprise à ses cadres en leur permettant de financer l'opération. J'ai en tête l'exemple d'une société de transport dont je ne peux pas citer le nom : elle a été vendue par son fondateur à un cadre accompagné d'un 1er fonds d'investissement, elle faisait 50 millions de chiffre d'affaires. Le capital a ensuite été ouvert aux managers de l'entreprise avec de nouveaux partenaires financiers : aujourd'hui elle fait 150 millions d'euros de chiffre d'affaires.

Il y a beaucoup de liquidités sur le marché. Comment l'orienter vers les entreprises de taille moyenne ?

Florent Haïk : Vous avez raison, il y a sur le marché une masse très importante de liquidités. Cette manne est attirée naturellement par les plus grosses sociétés, plus facilement identifiables, souvent plus internationalisées et considérées comme moins risquées. Notre rôle, c'est de présenter nos clients PME et ETI aux détenteurs de ces liquidités et de flécher les investissements de ces derniers vers eux.

Benoît O'Mahony : Nous avons des solutions pour toutes ces sociétés, solutions qui sont souvent à la pointe de l'innovation. Beaucoup de nos clients connaissent mal le marché de la dette privée par exemple, ces acteurs qui prêtent de l'argent en lieu et place des banques traditionnelles à des conditions avantageuses et avec des contraintes limitées. Nous avons une connaissance approfondie des circuits de financement, nous parlons aux acheteurs et investisseurs français et internationaux. Notre rôle est de donner aux PME et ETI accès à tout cela.

Quelles sont les tendances actuelles ?

Benoît O'Mahony : Il y a eu beaucoup d'attentisme en 2012 et 2013 : la marche des affaires était médiocre, l'environnement fiscal incertain. Quand on n'a pas de visibilité, on ne bouge pas. Depuis 2014, on observe peu à peu le retour des anticipations positives de l'avenir chez les PME et ETI. Les acquéreurs, qui sont souvent de plus grands groupes, ont reconstitué leur trésorerie ces dernières années et ont désormais suffisamment confiance pour les investir dans des acquisitions. La baisse de l'euro rend les acquisitions meilleur marché pour les américains ou les asiatiques. Les fonds d'investissement disposent de liquidités à nouveau, et la dette est plus facilement disponible. Les prix de vente des entreprises repartent à la hausse. En moyenne, c'est aujourd'hui entre 7 fois et 8 fois l'EBE selon les secteurs d'activité et la taille des entreprises.

Comment vous situez vous dans le grand courant actuel favorable au Made in France ?

Florent Haïk : La transmission d'entreprise n'est pas une option qu'on peut éviter, c'est un évènement inéluctable...parfois elle est familiale mais c'est finalement assez rare. Dans tous les autres cas elle ne peut se réaliser que par une cession. Créer des champions sectoriels en agrégeant les PME françaises est une solution intelligente pour muscler un peu le tissu économique français : c'est d'ailleurs un des objectifs que la Banque Publique d'Investissement s'est fixé.

Propos recueillis par PPI.