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Par Charles Ansabère

Les fonds d'investissement restent à la manœuvre

Dans une conjoncture plus qu'incertaine
Les fonds d'investissement restent à la manœuvre
Ils disposent de liquidités, et sont souvent prêts à mettre le prix. Ils ont tout pour continuer de mener le jeu en cette fin d'année 2022. A priori.

De quoi célébrer Noël avant l’heure. Avant l’été, il ne s’est pas passé une semaine dans l’Hexagone sans que les fonds de capital-investissement n’annoncent des levées de fonds. Pourtant, ce segment de la finance était déjà bien doté : à l’échelle mondiale, on parle d’un stock de quelque 2 300 milliards de dollars leur ayant été confiés à fin juin – une manne destinée à être placée dans les entreprises, connue sous le jargon de “dry powder”. Ces investisseurs sont donc plus que jamais parés pour continuer à mener à bien leur mission d’actionnaires, y compris à l’intérieur de nos frontières. Mais dans quelle mesure le pourront-ils, à l’heure où l’environnement économique présente des signaux inquiétants ? Ne seront-ils pas contraints de revoir leurs ambitions à la baisse ?

Ces spécialistes du private equity ont probablement en tête que les meilleures affaires se concluent souvent dans les périodes économiques troublées. Pourtant, le sujet est autrement plus complexe qu’il n’y paraît. Loin de ce que d’aucuns pourraient imaginer, ces fonds ne cherchent pas à racheter majoritairement des entreprises malmenées par la conjoncture économique et le contexte géopolitique mondial, en vue de les ramener vers des jours meilleurs. Bien au contraire. En France, les sociétés de gestion actives dans le non-coté ont fourbi leurs armes en vue de scruter tous azimuts les segments qu’elles privilégient d’ordinaire – du capital-risque au leveraged buy-out (LBO) en passant par le financement des PME et ETI, sans oublier les fonds de dette privée. De quoi continuer de susciter l’intérêt des investisseurs institutionnels, qui leur confient leurs capitaux. “Pour ces derniers, le private equity constitue un placement d’autant plus intéressant que l’on traverse une période de forte inflation. C’est l’une des raisons pour lesquelles ils placent cette classe d’actifs encore plus au centre de leurs stratégies d’allocation actuellement”, analyse Cédric Hetzel, associé du cabinet de conseil June Partners.

Des multiples à 10,8 fois l’Ebitda

“Les fonds de private equity affichent globalement une belle croissance et de bons résultats, il n’y a donc aucune raison pour qu’ils ne continuent pas à lever des capitaux, estime Yoann Melloul, directeur associé d’In Extenso Finance, chargé du réseau régional. Nombreux sont d’ailleurs ceux qui disposent d’antennes en régions, ce qui constitue un avantage certain sur fond de hausse des taux d’intérêt et de durcissement à venir des conditions d’obtention des financements bancaires. Il reste encore beaucoup de pédagogie à faire auprès des dirigeants pour les convaincre de l’intérêt d’ouvrir leur capital à de tels partenaires, mais le tissu d’entreprises familiales leur prête de plus en plus d’attention.”

“Il reste encore beaucoup de pédagogie à faire auprès des dirigeants pour les convaincre de l’intérêt d’ouvrir leur capital à de tels partenaires, mais le tissu d’entreprises familiales leur prête de plus en plus d’attention”

En toute logique, ces investisseurs devraient donc continuer à animer le marché des transactions… Car c’est bien ce qu’ils ont fait jusqu’à l’été. Bien qu’étant un peu plus enclins à la prudence sur les LBO d’envergure, pour lesquels il est devenu plus difficile de rassembler de la dette, “ils ont concentré leurs investissements sur des actifs de qualité à des prix assez élevés, mais stables”, peut-on lire dans l’édition de l’Argos Index pour le deuxième trimestre 2022. En proposant des multiples d’acquisition s’élevant à 10,8 fois l’Ebitda de leurs cibles, ils se sont d’ailleurs montrés plus généreux que les acquéreurs stratégiques (ou “corporates”) – dont le coefficient multiplicateur s’est établi à 9,9.

“L’abondance de capitaux disponibles, comparée avec le nombre de cibles d’investissement constant, alimente la concurrence au cours d’enchères menées par les banques d’affaires et les boutiques spécialisées”

Il est vrai que les sociétés de gestion font face à une certaine pression pour investir. L’abondance de capitaux disponibles, comparée avec le nombre de cibles d’investissement constant, alimente la concurrence que celles-ci peuvent se livrer, en particulier au cours d’enchères menées par les banques d’affaires et les boutiques spécialisées. Un état de fait qui est notamment à l’origine d’une déclaration choc d’un dirigeant d’Amundi, fin mai, lequel considérait qu’une partie du marché fonctionnait telle une pyramide de Ponzi – les uns rachetant les participations des autres, alimentant ainsi les rendements des premiers. Des propos qui auront d’ailleurs rapidement fait réagir les professionnels concernés, dénonçant avec véhémence le recours au système frauduleux auquel il avait été fait allusion.

Plus de discipline sur les valorisations ?

De tels excès sont loin d’être la règle, en effet. Qui plus est, certains premiers signaux négatifs se font jour, comme dans la tech – où l’on constate un ralentissement des levées de fonds et une baisse des valorisations. En conséquence, les sociétés de gestion se doivent plus que jamais de valider l’acuité de leur stratégie d’investissement. “Nous sommes de plus en plus fréquemment en discussions avec des comités de fonds qui semblent enclins à un peu plus de prudence, après avoir connu une phase où les délais de détention de leurs participations s’étaient beaucoup raccourcis, parfois à moins de cinq ans, évoque Florent Haïk, associé de la boutique Raphaël Financial Advisory. Cela pourrait entraîner un peu plus de discipline qu’il y a six mois sur les valorisations proposées.”

“Les comités de fonds semblent enclins à un peu plus de prudence, après avoir connu une phase où les délais de détention de leurs participations s’étaient beaucoup raccourcis, parfois à moins de cinq ans”

Mais attention : pour les actifs ayant démontré leur capacité à traverser la tempête, la générosité pourra toujours être de mise au vu de la quantité de fonds propres disponibles, mais aussi de la montée en puissance des pourvoyeurs de dette privée – prêts à prendre le relais des réseaux bancaires si jamais ceux-ci étaient amenés à fermer leurs vannes plus drastiquement qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent. Il reste à savoir à quel prix : plus le coût de la dette augmentera, plus les multiples d’acquisition seront tirés vers le bas.

La chasse aux actifs de qualité

Autre élément qui jouera probablement en faveur du private equity : les soubresauts de la bourse. Certaines sociétés cotées, dont le cours et la valorisation auront été malmenés par les réactions des places mondiales jouant au yo-yo à la moindre alerte, pourraient être tentées par un retrait de cote pour se prémunir de telles vicissitudes. Mais il faut bien avouer que ce genre de procédure peut s’avérer délicat à mettre en œuvre – si l’on en juge par certains dossiers qui ont pu marquer les esprits en France au cours de la décennie passée. Cela étant, il pourrait également y avoir de quoi faire son marché du côté des grands groupes, désireux de se délester d’activités devenues moins stratégiques… Mais une telle perspective ne s’est pas encore vraiment fait jour, elle non plus.

“La période n’étant vraiment pas propice aux stratégies émanant de “têtes brûlées”, les fonds devraient plus majoritairement continuer à s’intéresser de près aux entreprises qui ont brillé de tous leurs feux lors des derniers mois”

La période n’étant vraiment pas propice aux stratégies émanant de “têtes brûlées”, les fonds devraient plus majoritairement continuer à s’intéresser de près aux entreprises qui ont brillé de tous leurs feux lors des derniers mois. Dans cette quête permanente des actifs de grande qualité, les acteurs de l’économie circulaire et de la transition énergétique sont notamment appelés à tirer leur épingle du jeu… Plus généralement, tout ce qui est susceptible d’alimenter la transformation des entreprises continuera, à n’en pas douter, de susciter l’intérêt.

Mais ceci n’a rien d’exclusif. Aux dires de certains professionnels, d’autres types d’actifs devraient demeurer dans l’écran-radar des fonds au cours des prochains mois. Ainsi, bien qu’étant moins privilégiées qu’au cours de l’année faste 2021, les entreprises de qualité moyenne présenteraient tout de même l’avantage de conforter des stratégies dites de build-up. En effet, celles-ci pourraient être rachetées par des sociétés déjà soutenues par les fonds, dans l’objectif de bâtir un ensemble encore plus performant et/ou doté d’une envergure géographique plus vaste.

Favoriser les trajectoires RSE

Derrière cette stratégie figure le souhait de vouloir accélérer la croissance de l’entreprise et, in fine, d’en augmenter la valeur pour une future cession. Avec deux axes que l’on retrouve désormais fréquemment : d’une part, gagner de nouvelles compétences technologiques en mettant la main sur des talents déjà en poste, et d’autre part se doter d’expertises en RSE. Une perspective qui répond notamment à une véritable attente des fonds, mais aussi de leurs souscripteurs : “Les sociétés de gestion accompagnent de plus en plus les entreprises dans leur trajectoire RSE, note Cédric Hetzel.

“Deux axes que l’on retrouve désormais fréquemment : d’une part, gagner de nouvelles compétences technologiques en mettant la main sur des talents déjà en poste, et d’autre part se doter d’expertises en RSE”

En tenant le rôle de sparring partners auprès des dirigeants, elles se positionnent plus qu’en simples financiers, en dupliquant notamment les bonnes pratiques au sein de leur portefeuille. C’est une tendance vertueuse qui concerne aussi désormais les plus petites entreprises, après avoir débuté dans les mid et large caps au moment de la crise financière de 2008.” Mais attention : toute tentative de greenwashing sera ici aussi susceptible d’être sanctionnée. Le private equity, bien que richement pourvu, ne saurait être dupe d’un quelconque effet de mode.